domingo, 26 de mayo de 2013

Yoël Carreño, Corsaire invité du Ballet du Capitole

Loïc le Duc



Yoël Carreño
Crédit DR Ballet du Capitole

Version española

A l’issue de la représentation du 18 mai dernier, sur la scène du théâtre du Capitole, Kader Belarbi a chaleureusement félicité Yoël Carreño… félicitations qui prolongeaient la joie d’un public enthousiaste, nullement pressé de quitter les magnifiques interprètes de ce Corsaire revu et corrigé par le directeur du Ballet du Capitole.


Kateryna Shalkina / Yoël Carreño
Crédit DR Ballet du Capitole
Et pourtant, en quatre jours, Yoël Carreño a dû apprendre le rôle du Corsaire, qu'il n'avait jamais interprété auparavant ! Et a relevé, avec brio, le défi. Il a mis le feu aux planches du Capitole et conquis le cœur du public toulousain. Danseur noble, avec une technique à toute épreuve, le danseur Étoile du Ballet national de Norvège s'est imposé comme un Corsaire de référence. Quel ballon ! Et que dire de ses tours à la seconde qui n’en finissent pas et pendant lesquels Yoël Carreño s'offre le luxe d'attraper le pied gauche dans sa main gauche tout en continuant à tourner ? Un 'Ooooh !" d’admiration se soulève du public suivi de longs applaudissements. Tout est parfaitement exécuté, sans effort apparent, avec la précision la plus absolue. Le cubain fait de la broderie avec ses jambes et fait montre d'un travail d'acteur fantastique. Mais le plus attachant chez lui est cette générosité envers le public, cette envie de briller, sans concession, sans abandonner la rigueur.


Partenaire idéal, il met en lumière la ravissante Kateryna Shalkina. La soliste du Béjart Ballet Lausanne est une merveille de subtilité, d'esprit, de bonne humeur, jambes et bras d'une finesse exceptionnelle, mains voletant comme des papillons, toujours brillante, et enjouée en particulier dans les variations qui requièrent un parfum orientaliste avec lequel elle flirte.


Kateryna Shalkina / Pascale Saurel
Crédit DR Ballet du Capitole

Parce que ce Corsaire exhale de belles senteurs et nous enchante à chaque tableau. Kader Belarbi s’est éloigné de l’argument de Byron, repris par Mazilier pour Le Corsaire créé à l’Opéra de Paris en 1856, pour centrer la narration sur les amours contrariés du Corsaire et de la Belle Esclave. Achetée par le Sultan 
(Valerio Mangianti) sur la place du marché, la Belle Esclave s’avère être une menace pour la Favorite (Pascale Saurel). Coiffée d’un chapeau cornu, elle tire les ficelles de l’intrigue, jetant le Corsaire sur les pas de la Belle Esclave pour éviter qu’elle ne devienne Favorite à la place de la Favorite. Et attise les foudres du Sultan. Après de nombreuses péripéties, le Sultan abandonne en mer les deux amants, condamnés à mourir dans la tempête.

Par un savant dosage de justesse dans l’écriture chorégraphique, de richesse iconographique, d’authenticité du geste, de fidélité à une grammaire élégante teintée du lyrisme du travail des bras et du haut du corps, Kader Belarbi propose un ballet aux allures classiques, entièrement façonné dans la poésie de l’Orient, de l’émotion et du mouvement, tout en prenant soin d’enchaîner les tableaux avec une souplesse cinématographique.


Kateryna Shalkina / Yoël Carreño
Crédit DR Ballet du Capitole

Almées, odalisques, péris, derviches, corsaires et autres janissaires se croisent, se toisent, se poursuivent ou se séduisent, magnifiés dans les somptueux costumes, colorés et fluides, d’Olivier Bériot. Et chacun d’évoluer entre arcades, ciel et mer savamment utilisés pour suggérer, sans jamais encombrer. Le regard se focalise alors sur l’écriture chorégraphique : esbroufe et grands sauts pour le Corsaire, variations fougueuses et sauvages pour le Sultan, fruit d’une étonnante danse-fusion entre style classique, folklore russo-arabe et balancements contemporains, cambrés, corps sinueux et souplesse des poignées pour la Belle Esclave aux allures de Nikya. Le corps de ballet, de très bonne tenue, participe à l’action avec intelligence : almées aux lignes élégantes, courbes et langueurs soumises pour les odalisques… Le tout savamment orchestré par David Coleman qui a découpé, étoffé, remanié la partition d’Adolphe Adam, lui incorporant des pièces de Massenet ou Lalo. Belle initiative, notamment lorsque les femmes corsaires exécutent une époustouflante « Danse du tambourin » sur la Marche orientale de Sibélius.


Quel enchantement ! Quelle belle compagnie ! Un vrai bonheur ! Croisons les doigts pour que Yoël Carreño soit à nouveau de la fête, ici, au Capitole, ou à Garnier…. A bon entendeur…

Kateryna Shalkina / Valerio Mangianti
Crédit DR Ballet du Capitole


Représentation du 18 mai 2013 – Théâtre du Capitole
Distribution
Le Sultan : Valerio Mangianti
Le Corsaire : Yoël Carreño
Le Compère : Shizen Kazama
La Belle Esclave : Kateryna Shalkina
Les Deux Esclaves : Isabelle Brusson et Gaëlla Pujol
La Favorite : Pascale Saurel

Musique : Adolphe Adam, Massenet, Anton Arenski, Edouard Lalo, Jean Sibelius, David Coleman Chorégraphie : Kader Belarbi
Collaboratrice artistique : Martine Kahane
Décors : Sylvie Olivé
Assistant aux décors : Camille Ansquer
Costumes : Olivier Bériot
Lumières : Marion Hewlett

domingo, 19 de mayo de 2013

La Gioconda - La Danse des Heures / Opéra National de Paris

Loïc le Duc
Angel Corella
en la Danza de las horas de la opera la Gioconda,
representada en el Gran Teatre del Liceu de Barcelona, temporada 2005-2006
Foto : Antoni Bofill


13 mai 2013 : de nombreuses personnalités du monde politique et du show business se bousculent devant les portes d’entrée de l’opéra Bastille, pour assister à la représentation de la Gioconda, seul des onze opéras de l’italien Almicare Ponchielli à être resté à l’affiche jusqu’à nos jours. A cette foule déjà fort nombreuse, s’ajoutent les milliers de spectateurs qui vont suivre, en direct, cette performance diffusée dans près de 300 salles de cinéma en Europe.

L’entrée au répertoire de l’Opéra de Paris de cette Gioconda est une première dans tous les sens du terme : jamais encore l’œuvre n’avait connu les honneurs d’une scène parisienne, quelques cent trente sept ans après sa création. 

Opéra National de Paris - La Gioconda
Photo : Andrea Messana
Et pourtant, cette Gioconda a déjà perdu sa virginité… sur les scènes italiennes et espagnoles. La production mise en scène par Pier Luigi Pizzi a été donnée en 2005 aux arènes de Vérone, puis reprise et enregistrée au Gran Teatre del Liceu, à Barcelone, avant de sortir l’année suivante en DVD, sans parler des tribulations madrilènes ou romaines. La mise en scène rend hommage à la tortuosité désuète du livret… en trois heures de temps, rien n’est épargné au spectateur : vengeance, poisons, déclarations d’amour, trahisons et poignards. La chanteuse de rues, Gioconda, fille d’une pauvre aveugle, La Cieca, est follement éprise d’Enzo qui aime à la folie Laura, l’épouse d’Alvise Badoero, grand conseiller de l’Inquisition et mari jaloux dont l’espion, l’ignoble Barnaba, est lui-même amoureux de la Gioconda… Quand la passion adultérine est révélée et que tombe la sentence de mort, la Gioconda étouffe sa propre douleur, sauve sa rivale et choisit de mourir pour que les amants puissent vivre.

Opéra National de Paris - Photo : Andrea Messana 
La Danse des heures
Letizia Giuliani / Angel Corella

Pier Luigi Pizzi transpose l’action dans la Venise du XVIIIème siècle, au temps du carnaval, et signe une scénographie élégante et évocatrice d’une lagune grise noyée dans une brume suffocante, jouant de l’ombre et du contre-jour. Les décors, d’une grande sobriété réussissent par quelques ponts, par une gondole, à évoquer la Sérénissime en évitant de sombrer dans le cliché. Au centre de la scène, seul élément du décor stable tout au long de la représentation, un autel anthracite aura différentes fonctions, tantôt meuble liturgique, tantôt couche des amants ou table du sacrifice. Les scènes de foule sont joliment traitées, avec modération et sans ajout de détails inutiles. A l’exception des costumes de la « Danse des heures », le gris, le noir, le blanc et le rouge sont les seules couleurs que l’on verra sur scène, en constante opposition, au milieu desquels tranche le bleu de la robe de Gioconda. Ajouté au travail très soigné des lumières, le spectacle s’avère d’une grande beauté.


Opéra National de Paris - La Gioconda
Photo : Andrea Messana 
D’autant que Violeta Urmana, intensément concernée par son personnage, assure dans les duos et le légendaire air « Suicido ». A ses côtés, Luciana d’Intinio étonne en Laura. Maria José Monteil est une Cieca touchante, à la voix chaude et profonde. Marcelo Alvarez brûle les planches, faisant d’Enzo Grimaldo un être de chair et de sang. Claudio Sgura et Orlin Anastasov déçoivent en Barnaba et Badoero. Daniel Oren, à la tête de l’Orchestre et des chœurs de l’Opéra impose une direction souple, dynamique et sensuelle qui servira les raffinements et beautés orchestrales de cette partition dont le fameux ballet « La Danse des heures » du troisième acte, superbement chorégraphié par Gheorghe Iancu.

Pour illustrer le bal organisé dans le Palais, une débauche de couleurs fait son appartition. Douze ballerines vont servir d'écrin pour mettre en valeur les sensuels et athlétiques Letizia Giuliani et Angel Corella, sérieusement dénudés. 


Opéra National de Paris - Photo : Andrea MessanaLa Danse des heures
Letizia Giuliani / Angel Corella

Parfaite, la Prima ballerina du Maggio Danza entre en scène et assure, sans faute, arabesques pointées, déboulés, grands jetés tout en y apportant son emprunte. Ce n'est ni le bleu ni le rose que l'on attend habituellement d'une ballerine, mais un ton coquille d'oeuf très rare, subtil et distingué. Dès son apparition, Angel Corella éblouit. Il exécute une variation à couper le souffle, avec des sauts complexes mais incroyablement bien exécutés. Doté d'un talent spécifique inégalable, l'ex-danseur Etoile de l'American Ballet Theatre est inclassable. Personne comme lui ne danse tel un chat, avec des élans, des ralentis, des pas rapides et étincelants, des mouvements faits comme des éclairs. La sympathie dont il rayonne quand il danse, sa façon d'attraper le public, d'avoir l'air de dire "Allez ! vous êtes avec moi et on va vivre ça ensemble" sont uniques. 

Ebouriffants, Letizia Giuliani et Angel Corella nous offrent une prestation virtuose et millimétrée d'un niveau technique exceptionnel et remportent un triomphe mérité et châleureux. En fin de soirée, les commentaires élogieux revenaient sur toutes les lèvres des spectateurs de l'opéra Bastille : "Ces deux danseurs sont extraordinaires !", "Ils sont merveilleux !"...



Représentation du 13 mai 2013.
La Gioconda, drame en quatre actes (1876) - Amilcare Ponchielli (1834-1886) 
Entrée au répertoire de l’Opéra de Paris 

Livret d’Arrigo Boïto d’après Angelo, tyran de Padoue de Victor Hugo 
Maîtrise des Hauts-de-Seine/Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris 
Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris 
Direction : Daniel Oren 

Mise en scène, décors et costumes : Pier Luigi Pizzi 
Eclairages : Sergio Rossi 

Chorégraphie : Gheorghe Iancu 
Solistes de la Danse des heures : Letizia Giuliani, Angel Corella


Avec : 
Violeta Urmana (La Gioconda), Luciana D’Intino (Laura Adorno), Orlin Anastassov (Alvise Badoero), María José Montiel (La Cieca), Marcelo Alvarez (Enzo Grimaldo), Claudio Sgura (Barnaba)

lunes, 13 de mayo de 2013

L'Ecole de Danse de l'Opéra National de Paris fête son tricentenaire

S'offrir un spectacle de danse au Palais Garnier, siège de l’Opéra National de Paris (ONP), est un plaisir que tout le monde devrait pouvoir se concéder au moins une fois dans la vie. Au Palais Garnier il a eu lieu en Avril, le tricentenaire de l'Ecole Française de Danse (EFD), l'école qui forme les danseurs aspirant à intégrer le Ballet de l’ONP. La commémoration de ces trois siècles d'enseignement privilégié nous a offert plusieurs performances par les meilleurs étudiants de L'Ecole. Merci à la gentillesse de l’équipe de l’ONP, Ballet y mas a pu assister à une de ces performances.

La nuit des Walpurgies (Photo: Francette Levieux)



Lola Ramírez

L'Ecole Française de Danse est née en 1713 à l'initiative de Louis XIV. Le monarque français, accablé par les différents problèmes qui avaient fini par effondrer l’Académie Royale de la Musique, a décidé d'élaborer des statuts dont notamment la création d'un conservatoire de danse. Dans un premier temps, à ces classes, qui étaient gratuites, seuls les danseurs professionnels y ont participé et bien que certains enfants des artistes les aient également fréquentés, les classes n'étaient pas conçues pour des enfants. Soixante-dix ans plus tard, un décret de Louis XVI encourage la création d'une école spécifique pour les enfants de moins de douze ans. Ils recrutaient des enfants très jeunes et vierges de toute formation, donc dépourvus de défauts à corriger. Actuellement, les enfants qui aspirent à entrer dans l'Ecole Française de Danse, doivent être âgés d’entre 8 et 13 ans au 1er Septembre de l'année d'inscription. Ils doivent également passer un test rigoureux et s’ils le surpassent  ils devront étudier la danse en régime d’internat jusqu'à 18 ans. Les classes de l'EFD sont gratuites, mais pas l’internat.

Le 18 Avril, merci a la gentillesse de l'Opéra National de Paris, j'ai pu assister à l'une des représentations de L'Ecole Française de Danse qu'entre les 15 et 20 de ce mois a commémoré les trois siècles de vie de cette institution emblématique. Comme l'a déclaré Lily Safra, grand mécène du tricentenaire de l'EFD, "les célébrations du tricentenaire de l'Opéra de Paris sont un hommage à l'art de la danse et du ballet. Pour les enfants qui font leurs premiers pas de danse, pour les Etoiles qui brillent sur la scène, pour tous ceux qui admirons la beauté, je suis convaincue que la célébration de cette année restera à jamais dans notre mémoire".
Sur la mienne, bien sûr. Assise au deuxième rang du parterre, à quelques pas de la fosse d'orchestre, jouissant de tout le luxe de ce magnifique théâtre-palais conçu par Charles Garnier et inauguré en 1861, 14 ans plus tard, je me sentais comme une princesse de la cour de Napoléon III. Au gout particulier du monarque a été construit ce colisée de l'opéra et de la danse, ou du moins c'est ce que Garnier a répondu à la femme de l'empereur quand déjà commencés les travaux de construction, elle lui a demandé si il s'agissait  du style grec ou romain: «Dans le style Napoléon III, Madame."

J'avoue que je me sentais absolument émue. Le Palais Garnier était complet, les hommes et les femmes impeccablement habillés, les parents avec leurs enfants heureux de vivre un événement avec tant de glamour portant leurs plus beaux habits et voyant danser peut-être une sœur, un cousin, ou un ami, dans la scène d'un théâtre avec tellement d'ans d'histoire et pour lequel ont passé quelques-unes des figures les plus remarquables de la danse. Le Palais Garnier est un théâtre très baroque, très romantique, possédant un luxe exquis. Le lustre de lumière de la salle principale pèse plus de six tonnes. Mieux ne pas embrouiller cette  journée passionnante à penser à ce qui arriverait si le lourd bijou tombait sur le public. Devant moi, deux petites filles anglaises n'arrêtaient un moment. Peut-être qu'un jour elles aussi essayeront de passer les preuves pour entrer à l'Ecole et devenir des danseuses de l'Opéra National de Paris.

Les lumières s'éteignent et L'Orchestre des Lauréats du Conservatoire sous la direction de Marius Stieghorst commence les premiers accords de D'ores et déjà, chorégraphie de Béatrice Massin et Nicolas Paul créé pour l'École et dansé uniquement par des garçons. Aucun d'entre eux ne dépasse 18 ans, limite d'âge pour rester à l'école et moment où les plus talentueux peuvent opter à une place dans le corps de ballet de la compagnie de l'ONP. Dans ce cas, les seize danseurs qui dansent la chorégraphie de Massin et Paul, font partie des trois divisions supérieures de l'école, à savoir, les étudiants âgés d'entre 18 et 16 ans. Je les observe et reconnais en eux les qualités de le style français: l’élégance, le naturel et cette allure aristocratique. Parfois, un léger tremblement est filtré dans un équilibre difficile, c'est le prix de l'inexpérience.
La deuxième pièce est un ballet purement féminin. La nuit de Walpurgis, un des tableaux de l'acte V de Faust, il a été représenté pour la première fois en 1859 au Théâtre Lyrique et dix ans plus tard au Palais Garnier. Ballet baroque et purement romantique, auquel, suivant les directives de l'École, Claude Bessy, qui a joué jadis le rôle principal, retourne à l'école pour transmettre sa connaissance aux étudiantes d'aujourd'hui. Il y a de très belles danseuses dans ce ballet et très virtuoses malgré son jeune âge. Intérieurement je joue à deviner laquelle d'entre elles rentrera l'année prochaine dans le corps de ballet de l'ONP.

Aunis, le troisième ballet de cette représentation, est une chorégraphie de Jacques Garnier. Une curieuse représentation jouée par trois danseurs accompagnés par des musiciens avec l'accordéon diatonique. La danse a des touches folkloriques et contemporaines. Avec cette interprétation, qui dure 12 minutes, nous sommes arrivés à l'entracte. Une belle promenade à travers le hall du Palais Garnier, en buvant du champagne français produit dans les caves de l'un des patrons du Ballet de l'Opéra National de Paris. À votre Santé, monsieur!


Le spectacle se termine avec Péchés de Jeunesse, une belle chorégraphie de Jean Guillaume Bart, créé en 2000 à l'Ecole. Le ballet est dansé par des élèves de la première et deuxième division, appelés à devenir bientôt  des danseurs professionnels. «Il me semblait important, -affirme Bart- d'aider ces jeunes à découvrir en eux-mêmes de nouvelles possibilités, comme d'apprendre à regarder l'autre, de s'approprier du protocole du ballet classique, de créer une atmosphère, de rendre visible la comédie musicale. Pour moi, la rigueur ne doit pas être synonyme de rigidité, ou un frein pour l'expression".

Les représentations de l'Ecole de Danse sont toujours un grand événement à l'Opéra. Chaque année, les étudiants en dernière année, certains d'eux des futurs membres du corps de ballet de l'Opéra National de Paris, se préparent à ces représentations qui sont en quelque sorte ses débuts en tant que danseurs. L'excitation, les nerfs, même la peur du principat, se reflexe à la plupart d'entre eux, dans un léger tremblement presque imperceptible. On remarque clairement le talent, la virtuosité, l'exécution d'une pirouette parfaite effectué par une jeune femme brune, membre du corps de ballet, et un jeune danseur oriental qui danse avec la sécurité et la précision d'un professionnel. Fait à remarquer, aucun d'eux n'a rôle de danseur principal, peut être que ça arrivera bientôt un jour.
Les lumières du Palais Garnier s'éteignent, les applaudissements continuent et le souvenir, comme l'a dit Lily Safra, restera à jamais dans notre mémoire.

Traduction: Carolina Masjuán

domingo, 12 de mayo de 2013

Different Shores, Jiří Kylián, Ballet National de Norvège

Loïc le Duc

Version espanola


Photo : Erik Berg - Stepping Stones
Yolanda Correa / Yoël Carreno

Le chorégraphe Jiří Kylián est un invité régulier de l'opéra d'Oslo. Après "Wild Flowers" présenté au cours de la saison 2011, "Different Shores" est la quatrième soirée de ballet consacrée à l'univers du chorégraphe tchèque.

Rien d'étonnant à cela puisqu'il compte parmi les plus importants chorégraphes actuels, ses ballets faisant l'unanimité. Son humanisme, l'universalisme des thèmes qui traversent ses créations (le rapport homme-femme, individu-groupe, la mort, l'illusion…), sa grande musicalité et son savoir-faire scénographique font de lui le chorégraphe consensuel par excellence. D'autant plus que l'absence de style affirmé, revendiqué comme une griffe, lui laisse une certaine liberté, chaque pièce étant différente de l'autre, le plus souvent inspirée par la musique, son univers et sa structure.


Pas moins de trois pièces font leur entrée dans le répertoire du ballet national de Norvège : alors que le puissant "Soldiers' Mass" (1980) est interprété par 12 danseurs sur l'oeuvre musicale de Bohuslav Martinu, le fascinant "Stepping Stones" (1991) est une des rares pièces dans laquelle Kylián utilise la technique des pointes. La musique de John Cage et Anton Webern accompagne la partition chorégraphique. La plus récente des trois chorégraphies, "Gods and Dogs" (2008) - centième opus du chorégraphe pour le Nederlands Dans Theater - explore la frontière, fragile, entre la normalité et la folie. 

Un bonheur total que l'on doit à Ingrid Lorentzen, directrice de la danse de l'Opéra national de Norvège, qui, par cette programmation, nous propose une soirée totalement grisante.


STEPPING STONES 

Photo : Erik Berg - Stepping Stones
Kaloyan Boyadjev / Cristiane Sa
Stepping Stones convoque des pièces pour piano préparé de John Cage et les "Six bagatelles" pour quatuor à cordes d'Anton Webern. Peu importe que ces Stones soient les pierres d'un gué ou d'un chemin initiatique. L'insolite du décor avec ses trois chats égyptiens et les petites reproductions de statues que véhiculent les huit danseurs à bout de bras ou entre leurs jambes, tout comme leurs maillots de corps restent anecdotiques devant la constante invention d'une chorégraphie à la fois virtuose et athlétique. 

Des déhanchements savamment dosés sur les syncopes de la musique, un travail constant de rotation des bras, une coordination périlleuse avec le minimalisme de Cage et de Webern semblent un travail d'horloger suisse auquel se plient, avec beaucoup d'enthousiasme, les solistes Yoël Carreno, à la présence impressionnante, Kaloyan Boyadjiev, Philip Currell et Christine Thomassen, et les danseurs du corps de ballet Stine Ostvold, Ole Willy Falkhaugen et Cristiane Sa

Quant à l'interprétation de Mademoiselle Correa, elle est tout simplement, remarquable : d'une grande fluidité, son corps est une ondulation gracieuse qui épouse merveilleusement le contour sonore de l'ouvrage. 


GODS AND DOGS 

Photo : Erik Berg - Gods and Dogs
Yolanda Correa / Gakuro Matsui

Gods and Dogs est une interrogation, magistrale, sur la frontière, fragile, qui sépare la normalité de la folie. 
Magistrale parce que subtile et habitée, sans pathos didactique : jeux sur les frontières de la scène, métaphore de l'être humain, sorties de scène impromptues… D'une beauté indicible, Gods and Dogs jouit de jeux de lumières qui magnifient le rideau de fond de scène, composé de chaînes métalliques qui participent au mouvement de la chorégraphie. Cet univers hallucinant et fascinant, évolue au rythme de la musique de Dirk Haubrich, inspirée d'un quatuor de Beethoven, qui déchire l'espace et installe sa pulsation ; elle ne cessera plus. L'esthétique glacée, énervée, désarticulée et rapide de la pièce repose sur les mêmes fondements que les recherches des postmodernes comme Trisha Brown ou Lucinda Child. Même si Kylián utilise le vocabulaire académique dont il exaspère, ici, les principes, il démontre le basculement vers la folie à travers l'éclatement de la structure de la danse. 

Photo : Erik Berg - Gods and Dogs
Stine Ostvold / Gakuro Matsui 
Et la gestuelle requise pour interpréter Gods and Dogs est magnifiquement servie par les danseurs du ballet national de Norvège qui font feu, avec une précision déconcertante, de toutes les combinaisons de corps, de tous les rythmes, de tous les muscles du corps, y compris ceux du visage. 

On soulignera l'interprétation de Yolanda Correa qui, ici aussi, met ses aptitudes physiques et sa technique au service du style Kylián avec une concentration intérieure si intense, qu'elle lui permet d'habiter chaque mouvement et de fournir un travail remarquable sur la circulation de l'énergie où l'équilibre instable est un art. Emma Lloyd, lumineuse, techniquement impeccable, se révèle à son meilleur niveau. 
Chez les messieurs, Gakuro Matsui que le public remercie avec effusion à la fin du spectacle, est à la hauteur des exigences d'une partition chorégraphique violente et inquiète, qui en fait la victime possédée de spasmes qu'il ne maîtrise pas. 


Photo : Erik Berg - Gods and Dogs
Gakuro Matsui 


SOLDIERS'MASS 

En dernière partie de soirée de ces "Different Shores" figure "Soldiers' Mass". La chorégraphie de Jiří Kylián se donne pour ambition de recréer les émotions de la musique de Bohuslav Martinu. Cet opus pour choeur, cuivres, piano et percussions, a été écrite en 1939, à partir d'un texte de Jiří Mucha dédié à la mémoire d'un bataillon de jeunes recrues tchèques tuées le lendemain de leur arrivée au front, au cours de la Première Guerre mondiale. 

Photo : Erik Berg - Soldiers' Mass

Douze danseurs, vêtus de tenues kaki stylisées, tournent le dos au public, dans une pose typique de Kylián. Ils dansent contre une ligne d'horizon courbe et n'auront de cesse de danser à l'unisson, eu égard aux habitudes régimentaires. Et lorsque l'un des interprètes - Aarne Kristian Ruutu - rompt cet effet de masse pour interpréter un solo endiablé, c'est l'image de la jeunesse perdue qui s'incarne dans cette énergie du désespoir affichée. Parce que si l'écriture chorégraphique joue avec cette masse anonyme de douze hommes, l'oeil ingénieux de Kylián pour le détail met en exergue la destinée tragique de chaque protagoniste. 

D'autant que la veine théâtrale de Soldiers' Mass dénonce, avec force et tragédie, la stupidité de la guerre. Et nous offre des tableaux particulièrement poignants : à un instant donné, les danseurs s'arrêtent, face au public, et avec un air de défi, chantent, comme le condamné, avec le choeur. Puis tous, en quinconce, arrachent leur chemise, et torse nu, les bras en croix, se tournent vers le public qu'ils défient une dernière fois avant de s'écrouler, les uns après les autres, comme frappé d'une balle en plein coeur. 

Photo : Erik Berg - Soldiers' Mass

Excellente distribution qui assurait cette ultime représentation de Soldiers' Mass avec une mention spéciale à Martin Dauchez qui rayonne à chacune de ses apparitions sur la scène de l'opéra d'Oslo.



Oslo - Représentation du 3 mai 2013

Stepping Stones
Chorégraphie : Jiří Kylián
Musique : John Cage - Anton Webern
Scénographie : Michael Simon

Danseurs : Kaloyan Boyadjen, Yoël Carreno, Yolanda Correa, Philip Currell, Ole Willy Falkhaugen, Stine Ostvold,Cristiane Sa, Christine Thomassen 

Gods and Dogs
Chorégraphie : Jiří Kylián
Musique : Dirk Haubrich - Ludwig van Beethoven
Scénographie : Jiří Kylián

Danseurs : Yolanda Correa, Martin Dauchez, Emma Lloyd, Gakuro Matsui, Stine Ostvold, Aarne Kristian Ruutu, Garrett Smith, Christine Thomassen  

Soldiers' Mass
Chorégraphie : Jiří Kylián
Musique : Bohuslav Martinu
Scénographie : Jiří Kylián

Danseurs : Kaloyan Boyadjen, Fernando Carrion, Philip Currell, Martin Dauchez, Ole Willy Falkhaugen, Andreas Heise, Samantha Lynch, Gakuro Matsui, Tomoaki Nakanome, Aarne Kristian Ruutu, Kristian Stovind, Dirk Weyershausen