miércoles, 19 de junio de 2013

L'Aurore de Mademoiselle Correa


Loïc le Duc

Version espanola

Aurore - Yolanda Correa / Prince Désiré - Yoël Carreno
Photo. : E. Berg

On pourrait presque parler de prise de rôle pour Mademoiselle Correa à qui la direction de la danse du ballet de l’opéra d’Oslo confie pas moins de quatre représentations, sur les dix prévues, de cette série de La Belle, signée Cynthia Harvey

C’est à la Havane, dans la chorégraphie d’Alicia Alonso, et pour une unique représentation, que Yolanda Correa a étrenné le rôle d’Aurore. Rôle qui marquait pour la Ballerine un retour sur les planches du « Gran Teatro » après une blessure qui l’a tenu éloignée, de nombreuses semaines durant, du public cubain et l’a empêchée de se produire lors du XXIème Festival International de Ballet. Rôle qui lui a ouvert la voie à la consécration suprême puisque quelques semaines après sa « première » Aurore, Mademoiselle Correa était nommée « Primera Bailarina » du ballet national de Cuba, l’équivalent du titre d’Étoile à l’opéra de Paris. 

Yolanda Correa
Photo. : E. Berg
Faut-il souligner que Mademoiselle Correa possède toutes les qualités pour s'affirmer comme une Aurore de référence en nous gratifiant de très beaux moments techniques voulus par l'immense crescendo de la musique ? Elle domine avec la plus grande légèreté et une extraordinaire musicalité les tours de force accumulés sous ses pointes dans le triple domaine de l'arabesque, de la batterie et du jeté et y ajoute, non sans coquetterie, un port de bras ravissant. Yolanda Correa a une admirable manière de coordonner ses mouvements de tête, de bras et de mains, donnant l'impression qu'ils accompagnent et complètent, presque à l'improviste, ce que fait le reste du corps ; que le mouvement est intériorisé, digéré, étudié de la pointe du pied au bout des doigts. Son Adage à la rose est d'ailleurs l'un des grands moments de la soirée. La Ballerine, toute de juvénilité, de rigueur, de grâce, d'élégance, de pureté stylistique, surmonte avec sa technique imparable les écueils de ce redoutable morceau de bravoure. Et, sublime de charme, nous offre de beaux équilibres qui répondent au climat émotionnel de la musique. 

Aurore - Yolanda Correa / Prince Désiré - Yoël Carreno
Photo. : E. Berg

Dès son entrée en scène, Yolanda a d'emblée une classe, une présence et un éclat extraordinaire qui donnent à son personnage une vraie dimension théâtrale et magique, qui s'affirmera tout au long du ballet. Adolescente pleine de charme sans aucune minauderie mièvre au début, elle apparaît en femme épanouie au pas-de-deux final, comme le veut l'évolution psychologique du conte, parcours initiatique de l'enfance à l'âge adulte. Dans le troisième acte, où on célèbre les noces de la Belle au Bois dormant, l'harmonie musicale se fait allégorie. Son épanouissement glorieux coïncide avec l'union du Prince et de la Princesse, le baiser de l'un et l'éveil de l'autre sont le symbole de ce qu'implique la maturité. Non seulement l'harmonie vis à vis de soi-même mais également l'harmonie vis à vis de l'autre. C'est le triomphe de cet équilibre que célèbre la chorégraphie de Marius Petipa. L'adage du dernier acte entre Aurore et le Prince Désiré dévoile, pas à pas, la structure de ce prodigieux ballet et affirme un optimisme inépuisable par un enchainement de figures éblouissantes, magnifié par l'interprétation des cubains du ballet de Norvège. 

Carabosse - Ingrid Lorentzen - Photo : E. Berg
La personnalité de Yoël Carreño fait merveille dans le rôle du Prince et lui confère ce don rare et précieux : la présence. Son prince est de noble race, non seulement d'un beau danseur mais aussi d'un grand artiste. Sa technique se conjugue, ici, au superlatif. Chapeau bas ! 

Mais la Belle c'est aussi le corps de ballet et de multiples solistes. Gakuro Matsui et Emma Lloyd défendent le délicat pas de deux de l'Oiseau bleu avec une belle conviction et une excellente technique. Lui, idéal de légèreté, de vivacité et de poésie. Elle, lumineuse, pétillante, superbe de dynamisme et de virtuosité. L’élégante Hedda Staver Cooke interprète une fée Lilas délicate et sobre, peut être un peu trop par rapport aux exigences du rôle. Ingrid Lorentzen nous propose une Carabosse effroyable de méchanceté, incarnation parfaite des forces du Mal. Le corps de ballet est totalement investi dans cette production, preuve de la bonne santé de la compagnie. 

Prince Désiré - Yoël Carreno
Photo. : E. Berg

Une mention spéciale doit être adressée à l’orchestre de l’opéra d’Oslo qui, placée sous la baguette de Boris Gruzin, exécute savamment et subtilement la partition de Tchaïkovski.


Représentation du 14 juin 2013 - Opéra d'Oslo





domingo, 9 de junio de 2013

Une pluie d'Etoiles au Palais des Congrès - Paris

Loïc le Duc

Manon
Tamara Rojo / Federico Bonelli
Crédit DR D&D Art Prod.

A Athènes, en septembre dernier (gala "Meet the Stars"), Denis Austier et David Makhateli nous dévoilaient leur ambition d'organiser, à Paris, un gala de danse. C'est désormais chose faite puisque D&D Art Production a présenté "Noureev and Friends" afin de célébrer le 75ème anniversaire de la naissance de Rudolf Noureev

La Sylphide - Iana Salenko
Crédit DR D&D Art Prod.
L'empreinte D&D a permis, une fois encore, de montrer combien ce type d'évènement, rare à Paris, acquiert ses lettres de noblesse lorsqu'il est intelligemment organisé. La direction artistique a été assurée conjointement par Charles Jude, directeur du ballet de l'Opéra de Bordeaux et David Makhateli, ancien Principal au Royal Ballet. Dans la fosse, l'orchestre Pasdeloup est placé sous la baguette de Valery Ovsianikov, chef d'orchestre invité du théâtre Mariinsky. Et la scénographie, confiée à Gilles Papain, habite l'immense plateau, pourtant réputé sans âme, du Palais des Congrés, lieu que Noureev a maintes fois honoré de sa présence en tant que danseur et directeur de la danse du ballet de l'Opéra national de Paris. 

Tous les ingrédients sont réunis pour que revive magistralement l'esprit des "Noureev and Friends", organisés par le Tatare qui invitait ceux qu'il estimait, à partager l'affiche des spectacles qu'il remplissait sur son nom. Il y avait Isabelle Guérin, Sylvie Guillem, Florence Clerc, Charles Jude, Laurent Hilaire, Manuel Legris… Pour Noureev, c'était le moyen de continuer à se donner en spectacle aux quatre coins du monde, alors qu'il n'était plus capable de danser les grands classiques in-extenso. Parce qu'il a consacré sa vie à regarder, admirer et disséquer attentivement les ballets du français Marius Petipa avant de les danser avec ferveur. Ces oeuvres coulaient dans les veines du Tatare, ces princes tourmentés en quête d'amour impossible étaient sa vie. Prince de la danse romantique, Noureev était aussi un homme de son temps, qui voulait savoir danser son époque. Ce qu'il fit avec Martha Graham, Rudi Van Dantzig ou encore Paul Taylor

La soirée-hommage balaie ce vaste répertoire et permet que soit réuni, sur scène, un grand nombre d'artistes issues des meilleures compagnies de ballet dont une pléiade de russes, qu'ils soient rattachés à Berlin, Londres, Moscou ou Saint-Pétersbourg. 

Tamara Rojo
Crédit DR D&D Art Prod.

Mais l'honneur d'ouvrir les festivités revient aux danseurs du ballet de l'Opéra de Bordeaux. Sur scène, six hommes, six femmes, six fleurets. Le climat mystérieux voire mystique de "Petite mort" , du chorégraphe Jiri Kylian, conserve une grande originalité. Teintée de l'indicible mélancolie induite par les extraits choisis de l'adagio du concerto pour piano n°23 puis l'andante du n°21 de Mozart, les mouvements des corps des danseurs évoquent un amour tendre et sensuel, langoureux puis sauvage, jusqu'à l'orgasme. Travail plutôt soigné, avec une mention spéciale pour la lumineuse Yumi Aizawa

James - Marian Walter
Crédit D&D Art Prod.
Avec Iana Salenko, La Sylphide prend son envol. Sur fond de scène où est projetée une très belle vue de lac avec cascade et forêt, la ballerine du ballet de l'Opéra de Berlin, est cet être immatériel, impalpable et féérique, que James cherche vainement à séduire. Aucun effort apparent ne vient rompre cette aura qui l'isole du monde des humains. Ses poses, la ligne de ses arabesques, ses ports de bras font revivre, sous nos yeux, les lithographies qui immortalisèrent l'art de la Taglioni. Marian Walter est un James tendre, sensible : la noblesse de sa danse, l'ampleur et la légèreté de ses sauts se parent d'une batterie brillante. Il joue avec la Sylphide comme s'il était sous l'emprise d'une hallucination. Magistral. 

Evgenia Obratzova séduit, quant à elle, par son charme, sa fraîcheur et de brillantes qualités techniques. Impériale, la ballerine du théâtre du Bolchoï domine avec la plus grande légèreté les tours de force accumulés dans le pas de deux final de cette Belle (version Petipa/Grigorovitch), que ce soit dans le domaine de l'arabesque, de la batterie ou du jeté. Et y ajoute des ports de bras ravissants. Dimitri Gudanov, son prince Désiré, n'est pas en reste dans cette démonstration de technique et de virtuosité. Avec son beau ballon, ce danseur noble nous présente une variation enthousiasmante et sans tricherie. Et le partenariat entre ces deux-là fonctionne à merveille. 
Dommage que la Nikya d'Evgenia n'offre pas le panache de son Aurore malgré toute l'attention que lui porte Evgeni Ivanchenko, Solor aux allures plus princières que guerrières. 

La Belle au Bois Dormant
Evgenia Obratzova
/ Dmitry Gudanov

Crédit D&D Art Prod.

On retrouve l'Etoile du théâtre Mariinsky au côté de Daria Vasnetsova qui nous proposent l'Adage de l'acte blanc du Lac des cygnes, si terriblement soigné qu'il perd un peu de son âme. 

Two pieces for Het
Maïa Makhateli / Remi Wörtmeyer

Crédit D&D Art Prod.
Maïa Makhateli et Remi Wörtmeyer défendent avec force et brio les "Two pièces for Het", signées Hans Van Manen. A l'esthétisme glacé, énervé, rapide et tranchant qui répond à la musique de Tüür s'oppose une épure élégante, plus respirée de laquelle naît malicieusement une émotion vraie, au rythme du tempo d'Arvo Pärt. L'écriture chorégraphique met en lumière le tempérament bien trempé des deux interprètes, à la plastique irréprochable et aux lignes affûtées. Pièces singulières au cours de ce gala, "Two pièces for Het" a reçu un accueil chaleureux et mérité du public. 

Difficile de ne pas évoquer, au cours de cette soirée, les 17 années de partenariat et les 700 spectacles données au quatre coins du monde pendant lesquels Margot Fonteyn et Rudolf Noureev se sont sublimement aimés en scène. 

A commencer par cette "évocation poétique" sur une sonate pour piano de Franz Liszt, chorégraphiée par Frederick Ashton pour le couple de légende. Dans le Paris chic des années 1840, Marguerite, avant de mourir de phtisie, voit Armand et se remémore leur rencontre lors d'un bal, puis leurs amours à la campagne, la fureur du père d'Armand qui la prie de quitter son fils, leur dispute et l'humiliation faite à Marguerite lorsqu'Armand lui jette une liasse de billets en pleine soirée mondaine. Ils se séparent mais Armand revient juste à temps pour que Marguerite meure dans ses bras. 
Il faut tout le talent de Tamara Rojo et Rupert Pennefather pour imposer l'intensité dramatique de ces amours à la campagne. Dans une danse voluptueuse, Marguerite/Tamara s'abandonne suavement dans les bras de Armand/Rupert pour ensuite se jeter courageusement dans le partenariat qui symbolise leur amour impossible. Bouleversants, Rojo et Pennefather interprètent ce pas de deux fougueux avec intelligence et brio. 

Armand - Rupert Pennefather
Crédit DR D&D Art Prod.

La même aura solaire se retrouve chez "La Rojo" lorsqu'elle danse Manon. Le pas-de-deux qui nous est proposé prend place dans la chambre du Chevalier Des Grieux et nous fait entrer dans l'intimité des deux amants pour un pur moment de bonheur partagé. L'écriture de Mc Millan traduit le sentiment de liberté émotionnelle et le bonheur décomplexé des amants par une envolée chorégraphique pleine d'audace, où l'arabesque et le volte en l'air sont déclinés dans une recherche esthétique, ponctuée d'étreintes passionnées. Leur empathie rend leur histoire d'amour profonde et sincère. Doté d'un physique d'une rare séduction, Federico Bonelli est paré d'un style d'une grande pureté. A chaque geste, à chaque pas, l'Etoile du Royal Ballet déclare sa passion brûlante pour Manon. Tamara Rojo donne vie à la courtisane avec une maîtrise parfaite de la technique alliée à une sensibilité musicale renversante. Quel magnifique travail du regard, du glissement tout en contre-poids entre elle et Des Grieux. Ce regard qui fait que la danse n'est jamais redondante sur la musique, qui anticipe le mouvement et crée un effet de surprise qui tient en haleine le public du Palais des Congrés. 

La Bayadère 
Evgenia Obratzova / Evgeni Ivanchenko
Crédit D&D Art Prod.

Noureev chorégraphe sera sublimé par l'interprétation donnée par Mathias Heymann de Manfred. Adapté du poème lyrique de Byron, Manfred est un héros torturé, solitaire, accablé de remords pour avoir détruit tous ceux qui l'entourent, préfère mourir et en appelle à Astarté, un esprit censé calmer la grande culpabilité qui l'assaille. Créé en 1979, Noureev, blessé, ne pourra interpréter le ballet qu'il s'est écrit. Mathias Heymann est souverain, dans tous les sens du terme, ultra-romantique dans son jabot blanc, une présence dévorante, du panache à revendre dans les sauts et des tours en l'air aux réceptions parfaites, dans l'exécution des pas multiples et incessants. 

Raymonda - Aurélie Dupont / Mathias Heymann
Crédit DR D&D Art Prod.
Son Jean de Brienne confirme cette prestance, son honnêteté du geste. Ses Raymonda (successivement Aurélie Dupont et Myriam Ould-Braham) semblent devoir se livrer à un exercice de style qui ne soulève pas l'enthousiasme, même si peu de reproches peuvent être formulés. 

La soirée se conclut par un époustouflant pas-de-deux, interprété par Aleksandra Timofeeva qui se lance, rayonnante dans son tutu court, à la conquête de son Corsaire, Vadim Muntagirov, récent lauréat du prix Benois de la Danse. Nul doute que chez Muntagirov, ça saute, haut, ça tourne, toujours merveilleusement, avec beaucoup de panache et de précision. Son partenariat avec la ballerine du ballet du Kremlin fonctionne à merveille. Elle nous offre une série de fouettés simples et doubles de haute tenue, sous les applaudissements chaleureux d'un public enthousiaste. 



Le Corsaire - Vadim Muntagirov
Crédit D&D Art Prod.

Le gala a été filmé le 31 mai dernier et devrait être diffusé en haute définition dans 2.500 salles dans le monde. Un DVD-Blu-Ray de cette soirée-hommage devrait être produit à l'automne 2013.


Programme du Gala (31 mai 2013 et 1er Juin 2013)

Ballet de l'Opéra de Bordeaux 

Petite Mort, chorégraphie Jiri Kylian

Iana Salenko et Marian Walter (Ballet de l'Opéra de Berlin)
La Sylphide, pas de deux, chorégraphie d'Auguste Bournonville

Evgenia Obraztsova et Evgeny Ivanchenko (Ballet du Mariinsky)
La Bayadère, pas de deux de l'acte des Ombres, chorégraphie de Marius Petipa

Tamara Rojo (directrice de l'English National Ballet, Étoile internationale) et Federico Bonelli (Royal Ballet de Londres)
L'Histoire de Manon, pas de deux, chorégraphie de Kenneth McMillian

Maïa Makhateli et Remi Wörtmeyer (Het Nationale Ballet)
Two pieces for Het, chorégraphie de Hans Van Manen

Aurélie Dupont (le 31 mai), Myriam Ould-Braham (le 1er juin) et Mathias Heymann (Ballet de l'Opéra de Paris)
Raymonda, pas de deux, chorégraphie de Rudolf Noureev d'après Marius Petipa

Evgenia Obraztzova et Dmitry Gudanov (Ballet du Bolshoï)
La Belle au bois dormant, pas de deux du troisième acte, chorégraphie de Yuri Grigorovich d'après Marius Petipa

Mathias Heymann (Ballet de l'Opéra de Paris)
Manfred, solo, chorégraphie de Rudolf Noureev

Tamara Rojo (directrice de l'English National Ballet, Étoile internationale) et Rupert Pennefather (Royal Ballet de Londres)
Marguerite et Armand, pas de deux, chorégraphie de Frederick Ashton

Daria Vasnetsova et Evgeny Ivanchenko (Ballet du Mariinsky)
Le Lac des Cygnes, pas de deux du Cygne Blanc, chorégraphie de Marius Petipa et Lev Ivanov

Alexandra Timofeeva (Ballet du Kremlin) et Vadim Muntagirov (English National Ballet)
Le Corsaire, pas de deux, chorégraphie de Marius Petipa