martes, 11 de marzo de 2014

Alicia AMATRIAIN, invitée de l'Opéra de Paris


Nouvelle série de représentations d'ONEGUINE, signé CRANKO, à l’Opéra national de Paris. Et nouvelle belle surprise avec l’invitation de l’Etoile de Stuttgart, la ballerine d’origine basque, Alicia AMATRIAIN, qui, en quelques pas, a conquis le cœur du public parisien. 


Loïc le Duc
Né en Afrique du Sud, engagé au Sadler’s Wells Ballet par Ninette de Valois qui lui commande ses premières chorégraphies, vite révélé au monde de la danse comme un authentique créateur, John CRANKO prit en 1960 la direction du ballet de Stuttgart dont il fit l’une des compagnies majeures européennes. C’est dans l’avion qui ramenait la compagnie d’une tournée et qui ne put atterrir assez vite à cause du mauvais temps, qu’il mourut d’une crise cardiaque au milieu de ses danseurs. L’essentiel de l’œuvre de Cranko est très significatif du style néo-classique de l’époque et couvre les grands ballets du répertoire académique et bon nombre de ballets anecdotiques comme Le Prince des Pagodes sur une partition commandée à Benjamin Britten, La Mégère apprivoisée, ainsi qu’une Belle-Hélène que créa en 1955 Yvette Chauviré à l’Opéra et un Roméo et Juliette entré au répertoire de la compagnie parisienne en 1983. 

Pièce en trois actes, Eugène Onéguine constitue assurément l’une des plus belles réussites du chorégraphe sud-africain ; le livret joue sur les thèmes de la passion tourmentée, de l’honneur et des regrets et n’a pas pris une ride. La production, signée Jürgen ROSE, propose un dispositif de rideaux à l’italienne au charme désuet. Les costumes, à dominante châtaigne et aux nuances pastelles proposent une légèreté dans la gravité de l’œuvre et ôtent un caractère sacré et intimidant à ce drame commun. 

Photo : Julien Benhamou / Opéra national de Paris
Alicia Amatriain (Artiste invitée)

Musicalement, Kurt-Heinz STOLZE a réalisé un ensemble homogène d’extraits des Saisons, de Roméo et Juliette, des Caprices d’Oxane et de Francesca da Rimini, illustratif, sans prétention, accompagnant judicieusement la progression dramatique des principaux protagonistes. 

Quant à l’écriture de Cranko, elle s’affirme d’abord dans des pas de deux redoutables, course de portées plus saisissants les uns que les autres. Régulièrement soulevée dans les airs, la ballerine se retrouve, battant des jambes pendant que son partenaire traverse le plateau en la tenant à bout de bras. Arc-boutée, cambrée à l’extrême, elle se jette en arrière, se fait récupérer in extremis par le danseur qui enchaîne aussi sec une nouvelle figure. Mais la touche Cranko déborde la seule technique. Les rôles principaux exigent simultanément une virtuosité aiguisée et un jeu d’acteur délicat. 

Alicia AMATRIAIN donne une somptueuse leçon de danse et de théâtre. Ici, il y a tout, une technique époustouflante, un sens psychologique accompli, un art théâtral total, dans les moindres nuances. La ballerine rend très justement la Tatiana du poème de Pouchkine, jeune fille rêveuse et imbibée de  lectures, puis éperdument amoureuse de cet homme à qui elle ose avouer son amour dans une lettre passionnée. Même immobile, Alicia AMATRIAIN exprime tout, comme à la fin de l’acte deux, lorsqu’elle reste figée et regarde avec autant de mépris que de froideur Onéguine qui vient d’assassiner Lenski. Elle ne fait pas un geste, mais on sent qu’une page est définitivement tournée dans sa vie, dans son âme, qu’elle ne sera plus jamais la même. La froideur de son partenaire tranche avec une passion qu’elle ne cherche pas à dissimuler. Puis la Tatiana d'Alicia incarne une femme et épouse, fidèle, de la haute société russe. L'amour que lui propose Onéguine lui est désormais interdit. 

Karl PAQUETTE a, certes, le physique romantique de l’emploi mais ses qualités dramatiques capables de donner vie à son personnage sont moindres. Bon partenaire, une certaine froideur bloque l’émotion qui doit se dégager aussi de ce rôle cynique mais vibrant.

Photo : Julien Benhamou / Opéra national de Paris
Alicia Amatriain (Artiste invitée) et Karl Paquette

Le couple Olga-Lenski rassemble Eve GRINSZTAJN et Fabien REVILLION. La première danseuse campe une charmante Olga, vive et insouciante. Elle croque l'instant présent à pleine dent et accepte l'invitation de danser d'Onéguine sans arrière pensée mais provoquant la fin tragique du poète.  La danse de Mademoiselle GRINSZTAJN reflète, dans chaque pas, chaque geste, l'évolution de son personnage, ce jeu des passions et des faiblesses humaines. Fabien REVILLIION, sujet dans le Corps de ballet, compose un Lenski de bon niveau, joliment assorti à sa partenaire. Il danse avec ampleur, musicalité, facilité, beaucoup de sûreté, et offre un personnage qui attire d'emblée la sympathie. 

Christophe DUQUENNE incarne avec crédibilité un prince russe distingué et martial. La pas de deux Tatiana / Grémine du bal chez le Prince est d’une beauté, d’une justesse, d’un romantisme à couper le souffle… Incontestablement, l’instant dansé le plus fort de cette représentation exceptionnelle. 

Les ensembles parfaitement rodés du Corps de ballet sont particulièrement mis en valeur. Chaque danseur qui apparait sur scène sait qu’il porte une part du ballet et s’implique dans la signification de l’ensemble. Parce qu’Onéguine est truffé de courtes scènes qui se déroulent en même temps que l’histoire des personnages principaux et qui viennent l’éclairer et la compléter. Cette harmonie est magnifiée par l’accompagnement musical proposé par l’orchestre de l’Opéra de Paris, placé sous la baguette de James TUGGLE

Photo : Julien Benhamou / Opéra national de Paris
Alicia Amatriain (Artiste invitée) et Christophe Duquenne

Vraiment, une très belle soirée… Seule ombre au tableau : aucune mention particulière n'est portée dans le programme sur l’Etoile du ballet de Stuttgart, invitée tardive de cette série... Glisser, dans chaque programme, un feuillet relatant la carrière de Mademoiselle AMATRIAIN ne me semble pas une tâche insurmontable et traduirait le respect que porte l'Opéra Garnier à l'Etoile invitée.



Distribution - représentation du 4 mars 2014

EUGÈNE ONÉGUINE / Karl Paquette
LENSKI / Fabien Revillion
TATIANA / Alicia Amatriain
OLGA / Eve Grinsztajn
LE PRINCE GRÉMINE / Christophe Duquenne